Avant tout, être reconnues est ce que l’on désire le plus.
Être vues — vraiment vue — est ce qui nourrit un couple, une amitié, plus que l’amour. C’est la garantie qu’on n’aura pas besoin de se retrancher pour retrouver la paix de son entièreté.
Les gens font tant de dégâts, tant de pirouettes dans le privé ou le public juste pour attirer l’attention, afin de remplir ce besoin viscéral de reconnaissance, convoité depuis l’enfance.
Car c’est lorsqu’on se sent véritablement reconnues qu’on reçoit la permission d’occuper tout l’espace, de déployer le vrai soi. On sent qu’on est moins seules. On sent qu’on est moins folles. On sent qu’on a le droit. C’est la prémisse à la connexion véritable.
Mais la reconnaissance de quoi, exactement?
Bien sûr celle du baratin de bêtes, de vanités, de blessures et peurs obscures de longue date qui habitent nos nuits blanches — être acceptées pour tout ceci est déjà un geste d’amour courageux qui loge dans les liaisons d’âmes et les amitiés indestructibles.
Mais pas seulement.
Se sentir vue — réellement, entièrement vue — signifie qu’on ne craint pas ce qui brûle en nous.
C’est notre puissance qui est reconnue. Notre immense puissance qui brille en nous et qui fait notre unicité.
Cette puissance qu’on ne s’avoue que rarement même, que l’on craint exprimer.
On la devine au fond de notre ventre, on n’ose pas souvent la fréquenter, on aimerait le délivrer, on aimerait la crier aux cieux, mais tout nous en empêche. La peur nous bâillonne. Quand quelqu’un la voie, cela la débride, et cela crée une vague de libération de tout notre être.
Car être véritablement, intimement, inconditionnellement vues, signifie retrouver le droit d’exprimer cette puissance insondable sans plus craindre d’en être ostracisées ou punies.
Combien sont les regards, même amoureux, qui se posent sans percer, qui n’osent pas aimer au complet? Même les je t’aime les plus sincères parfois recèlent une zone qu’ils ne souhaitent explorer. Cela prend quelqu’un qui sait regarder sans peur d’être écrasé.
Mais la vérité — la profonde, inconfortable vérité — est qu’on cherche à être reconnue, seulement parce qu’on ne s’est pas reconnues en premier.
On ne s’est pas donné la permission de fréquenter cette grandeur. On la repousse comme un danger, un feu ravageur.
Il y a une raison, cette peur de se déployer ne vient pas de nulle part : le passé nous a enseigné à rester coites. Cette peur est ancrée dans les millénaires, où les femmes qui prenaient trop de place étaient marginalisées, traitées d’immorales, humiliées, tuées.
Mais aussi, car on nous a dit que c’était mal, qu’il était incompatible avec le fait d’être humble. Il faut rester petites.
Mais c’est une lubie. Nier cette puissance qui est en chaque individu signifie nier ce qu’il y a de plus divin, de plus élevé et aimant en nous. C’est nier Dieu en nous.
Ce n’est pas un acte d’humilité de refuser cette puissance, au contraire: c’est un geste d’ultime prétention qui refuse de reconnaître la divinité que nous sommes.
Mais quelle délivrance quand on se reconnaît… c’est un geste irréversible. L’amorce de notre expansion. Le début de la fin de tout ce qui nous tient petites. On ne pourra plus ignorer qui on est vraiment…
Et si, aujourd’hui, on reprenait cette puissance qui est notre empreinte naturelle, si on se donnait le droit d’être cette personne qui se reconnaît en premier, qui s’accorde ce droit?
Alors.
À cette puissance qui rugit dans notre cœur et qu’on a peur de sortir, par crainte d’écraser : oui, je te vois.
À ces aspirations qu’on effleure en rêve, qu’on partage sans trop appuyer, par crainte qu’on les brise ou qu’elles nous déçoivent : oui, je vous vois.
À ces éclairs de sagesse qui s’affirment en nous comme une évidence, mais qu’on ne pourrait expliquer dans un monde qui fonctionne par la logique : oui, je vous vois.
À cette voix qui porte un éventail de nuances, une explosion d’émotions, une immense et irrépressible ardeur, et l’envie de crier : oui, je te vois.
À cette intensité de vivre, cette passion qui nous gruge dans le ventre et qu’on voudrait débrider : oui, je te vois.
À cette envie de retrouver l’enfant qu’on était, l’innocence de vivre, le jeu de la vie, et d’inviter le monde à faire la même chose : oui, je te vois.
Il faut avoir reconnu ce qui brille en nous pour reconnaître la magnificence de l’autre. Il faut reconnaître cette immense puissance que nous avons et que nous sommes, pour ne pas vivre à côté.
Nous-mêmes en sommes effrayées, car elle est porteuse de rébellion. Embrasser cette puissance nous a couté la réputation, la vie, et va à l’encontre de la soi-disant humilité que la religion a brandie pour nous garder petites.
Avant l’amour, ce à quoi les gens aspirent vraiment est le sentiment d’être vus, d’être reconnus, d’être dédouanés et débridés dans cette flamme qui leur rugit dans le cœur.
On ne doit pas attendre un sauveur, quelqu’un qui nous donne la permission : cette reconnaissance on doit se la donner nous-mêmes. On peut ouvrir la porte à cet intérieur infini — puissant au-delà des limites, indomptable, infiniment savant, infiniment aimant, d’une force qui peut mouvoir des montagnes.
«Je te vois» est le plus beau geste d’amour que l’on offre à l’autre, mais c’est d’abord le plus grand acte de courage que l’on peut s’offrir à soi.